CORONAVIRUS III - 6 (Société)

La société on-line

Un des domaines où l'évolution de la société est la plus remarquable est le numérique, avec l'intrusion massive de l'informatique dans la vie privée des personnes. Encore une fois, le coronavirus n'y est pour rien, mais les mesures de protection sanitaire, devenues universelles, accélèrent cette tendance, en lui donnant la reconnaissance sociale qui lui manquait. Sans qu'il soit besoin de les citer parce que chacun les vit, les exemples se multiplient de la vitesse à laquelle la société passe au numérique, que ce soit dans nos sociétés occidentales ou en quelconque point du monde. Cette observation me fait penser à ces années bien derrière nous, à l'époque où je commençais à travailler dans l'automobile, un bien qui a révolutionné nos vies au XXº siècle. Nous scrutions ce paramètre fondamental qui était le taux d'équipement des ménages. De la démocratisation de la voiture dépendait la croissance de nos ventes, de la multi-motorisation des foyers leur accélération. Or nous avons observé la même tendance avec les outils informatiques, les ordinateurs, les laptops, les smartphones. Avec les mesures de confinement, non seulement cette tendance à l'hyper-équipement des ménages s'est accélérée, mais elle correspond à la définition d'un nouveau type de vie. Et il ne s'agit pas uniquement des matériels. Les logiciels se sont aussi multipliés pour répondre à des attentes nouvelles, imprévisibles il y a seulement quelques années. Une question à laquelle je ne sais pas répondre : Nous avons assisté depuis quelques années au développement spectaculaire de nouvelles technologies. Aujourd'hui nous faisons face au développement spectaculaire de nouveaux besoins utilisant ces technologies miraculeusement apparues auparavant. N'y aurait-il pas une relation entre ces deux phénomènes ?

L'administration publique, traditionnellement lente et réticente devant le changement, se met en pointe de cette évolution, ce qui est une indication forte que l'on assiste à un phénomène sociétal irréversible. On ne peut ignorer le rôle du facteur économie de personnel correspondant à l'informatisation des processus, mais je crois aussi qu'il y a une sincère prise en compte par les autorités des besoins d'une population confrontée à la douleur des attentes dans des salles exiguës, un besoin démultiplié en période de pandémie. Désormais il y a reconnaissance des courriers envoyés par mails et fax. J'en ai eu personnellement l’expérience avec la possibilité de l'envoi des certificats de vie par Internet. Certes il y a un équilibre à trouver entre le besoin de sécuriser les actes administratifs et la nécessité de réduire les contacts physiques entre fonctionnaires et administrés. Mais le mouvement d'acceptation du fait qu'il n'est plus obligatoire de comparaître devant un guichet est bien lancé. Cela touchera probablement de plus en plus de situations administratives. A quand les mariages on-line ?

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Parmi les applications au développement spectaculaire, il faut certainement compter Zoom. Je ne sais pas quel est l'inventeur de cette application, mais non seulement elle a rencontré un succès international, mais on peut dire qu'elle a changé notre manière de concevoir la communication. Certes, auparavant, il y avait les vidéoconférences, mais celles que j'avais connues dans le temps étaient beaucoup plus lourdes à l'emploi et moins conviviales. Il y avait alors quelques salles de vidéoconférences, avec plus de techniciens que de participants, à l'usage exclusif des grandes entreprises. Désormais Zoom peut remplacer à la maison toutes les rencontres physiques. Les arrière-plans des personnes avec lesquelles nous communiquons ne sont plus des paysages mais les meubles de leur maison. C'est l'effet coronavirus, qui nous fait passer de l’extérieur à l’intérieur, physiquement et psychologiquement. Au passage, je signale un effet collatéral de cette situation. Voulant téléphoner à mes enfants, je me suis plusieurs fois heurté à une impossibilité de liaison du fait que, toute la famille utilisait Zoom (et autres applications) en particulier pour la scolarité des enfants. Une nouvelle forme de communication qui a préséance sur les anciennes !

Une autre initiative est venue bouleverser nos comportements, c'est le télétravail. Fait rare et surprenant, il y a consensus là dessus. Du côté patronat, une enquête réalisée aux USA indique que 80% des entreprises comptent maintenir le télétravail après la crise. On les comprend, c'est trop avantageux pour elles en termes d'économie de frais généraux. Et d'un autre côté, face à certains patrons plus réticents, le personnel réclame plus de télétravail, au nom d'une liberté accrue pour les employés. Bien évidement, le travail physique continuera dans la mesure où les robots ne remplacent pas encore toutes les catégories de travailleurs, mais en attendant, tout le secteur administratif aura amplement basculé vers le télétravail.

Bref, nos appareils sont moins disponibles pour les appels personnels, tant ils sont utilisés pour ces nouvelles applications. C'est un changement de priorités au niveau de la communication qui s'est produit, accéléré par les besoins résultant du confinement et plus généralement de la situation créée par le coronavirus.

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Et pourtant je suis réticent devant cet engouement pour le numérique. Non pas que je sois contre le progrès, mais je veux marquer une certaine méfiance. Les juifs ultra-orthodoxe ne regardent pas la télévision (pas plus que le théâtre ou le cinéma). Comme on l'imaginera, je ne partage pas leur idéologie, mais ils signalent un point qui a tendance à nous échapper. Tout cela n'est pas vrai. Je suis personnellement un amateur de science-fiction, mais si je sais que cela n'est pas vrai et que mon plaisir est totalement intellectuel, il me faut néanmoins faire un effort d'attention car toute fiction a tendance à s'infiltrer dans notre réalité. Ce phénomène d'osmose entre réalité et imaginaire, qui joue fortement dans notre vie, explique en particulier que les romans de fiction ont souvent servi d'outil à plusieurs auteurs (notamment en Union Soviétique) pour s'exprimer sur la réalité sans tomber sous le coup de la censure. Or il est souvent impossible de distinguer le vrai du faux dans l'information qui nous est servie aujourd'hui, tant nous sommes victimes de fake news sophistiquées qui ont envahi notre vie et qu'il est très difficile d'identifier. La manipulation de l'opinion publique par des communications orientées a toujours existé, celle effectuée au moyen d'informations créés de toutes pièces et paraissant crédibles se développe à grands pas, tout cela étant permis par les techniques les plus avancées du numérique et de l'intelligence artificielle. La crise du coronavirus, en nous isolant chez nous, en renforçant notre addiction au numérique et en nous poussant à absorber de plus en plus d'images devient pour moi un risque majeur de perdre l'information directe issue de nos sens au profit de sensations générées par des applications que nous ne savons pas contrôler. Mon meilleur ami continue à aller sur les routes en lisant des cartes, nous préférons nous en remettre à WAZE. Les discussions avec mes amis (chose de plus en plus rare) tournent moins autour de ce qu'ils ont personnellement vécu que de ce qu'ils ont lu ou vu à la télé. C'est la direction que prend notre société, une réalité basée sur le numérique, et dont je crois le retour en arrière impossible.