Facteurs politiques.
Gérer une société n'a jamais été chose facile, et cela aura été encore moins facile avec l'irruption dans le monde, en fin 2019, de la pandémie du coronavirus. Celle-ci a déclenché, pour la première fois dans l'histoire, une vague de nouvelles peurs, qui ont partout fait oublier pour un temps les anciennes priorités nationales au profit de la défense de la santé publique. Cela a été immédiatement perceptible au niveau des jeux politique de chaque nation, les décisions et la communication sociale se focalisant brutalement sur ce sujet. La santé devenait un sujet politique de première grandeur, et bien des ministres de la santé, un portefeuille normalement calme, se sont vus mis en première ligne de l'actualité sans toujours avoir la compétence nécessaire. Par ailleurs, le coup d’arrêt mis aux débats parlementaires par les mesures de confinement, le ralentissement de l'activité de toutes les administrations ont aussi contribué à la marginalisation et à l'ajournement des autres considérations, même de celles qui semblaient être de premier plan quelques mois auparavant.
D'une manière générale, face à toute difficulté, il y a ceux qui cherchent des solutions aux problèmes, et ceux qui cherchent des coupables à fustiger pour distraire l'opinion publique dans l'attente de trouver une réponse à la crise. Les scientifiques sont en général du premier groupe, les hommes politiques du second. Les opinions publiques sont de plus en plus nerveuses, elles veulent des solutions crédibles à leurs problèmes, et le politique doit en tenir compte. Mais comme ces solutions ne sont pas immédiatement sur la table, il ne reste plus aux dirigeants qu'à désigner les coupables de tous les maux. Ce seront ceux qui, n’obéissant pas strictement aux directives du pouvoir, sont donnés comme responsables de l'expansion de la pandémie. Malgré cela, les opinions publiques sont bien consciente que les mesures de précaution prises, générales et administratives, ne sont pas toujours ce qu'il y avait de mieux à faire. D'autant plus que les marchandages entre parties prenantes, les intérêts de certains groupes, créent des distorsions incompréhensibles dans l'application de ces mesures.
Dans chaque pays, il y avait des enjeux nationaux spécifiques. Tous ceux-ci ont été balayés au profit d'un seul objectif, sortir de la crise sanitaire et de la crise économique résultante. Mais transformer un objectif sanitaire en argument politique est parfois difficile. Comme cas extrême, la maladresse apparente avec laquelle un Donald Trump l'a fait a eu pour résultat de dresser contre lui tous les médias et éventuellement de lui faire perdre les élections. Et dans tous les pays on a retrouvé cette dualité entre sanitaire et politique. Même dans un pays considéré sérieux comme l'Allemagne, une association de médecins, rejointe par quelque 2000 médecins de par le monde, a dénoncé la théâtralisation de la santé, la gestion “non scientifique et grotesque” de la pandémie. Ce décalage entre les manœuvres du monde politique et le besoin de comprendre et d'être rassuré des populations peut paraître navrant, mais il est une grande tradition de l'humanité. La crise du coronavirus vient le confirmer.
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Le rapport entre le pouvoir et le peuple a pu prendre différentes formes dans l'histoire. Mais partout aujourd'hui, parce qu'elle est une donnée incontournable de notre époque, la crise du coronavirus a créé des situations politiques inimaginables il y a quelques années. On y trouve plusieurs cas de figure. Seulement un tout petit nombre de pays, comme la Corée du Nord, nient l'existence de la pandémie, et leur population n'a droit ni à l'information ni à la parole. Le reste du monde est braqué sur cette catastrophe. Il y a des pays sereins parce que le civisme y est une valeur respectée. Il y a des pays divisés parce que chacun veut en faire à sa tête, et dans ce cas les personnes clament leurs priorités, et les dirigeants les leurs. Les conflits politiques surgissent alors parce que les dirigeants n'ont pas été élus sur des programmes qui comportaient une pandémie mondiale. Ils se retrouvent donc en porte-à-faux et il se peut que même leurs électeurs soient déroutés par les mesures prises.
Or un pouvoir ne tient sur la durée que s'il a l’adhésion du peuple, ou la force nécessaire pour faire plier ses opposants. Les pays habitués à l’oppression peuvent maintenir un pouvoir dictatorial, cela se voit encore de nos jours. Dans ceux-ci, les dirigeants peuvent dire et faire ce qu'ils veulent, le peuple en désaccord n'ayant pas les moyens de changer les décisions, les populations n'ayant pas de réaction face à la gestion de la crise sanitaire, pas plus que sur les autres sujets. Mais dans les pays passés à la démocratie (ou à l'illusion de la démocratie) se maintenir au pouvoir est plus complexe parce que cela exige une approbation populaire, ce qui n'est pas automatique dans notre cas étant donné que la pandémie est une donnée récente introduite dans le paysage politique. Certaines cultures y réussissent mieux que d'autres, je pense à cet exemple frappant à cet égard de l'écart de gouvernance entre la France et l'Allemagne.
Les objectifs sanitaires se heurtent donc aux besoins de l'économie, et cela est parfaitement clair, même si certains dirigeants essayent de bonne foi d'expliquer qu'il n'y a pas de système de santé sans économie forte ni de capacité économique dans un pays malade. Cet argumentaire relève de la dissertation scolaire, la réalité est que les populations ne peuvent pas assimiler deux objectifs opposés. Les désaccords sur les mesures prises vont donc croissant, générant des crises politiques a l'issue incertaine. Comme les échéances électorales sont nombreuses et à intervalles rapprochés, la stabilité politique des prochains mois est mise à rude épreuve dans beaucoup de pays.
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Lorsque la crise du coronavirus a éclaté, le monde était installé dans un équilibre précaire, avec plusieurs conflits latents, des jeux de pouvoir entre grandes puissances, et des situations en évolution ici et là. Tout cela a été balayé, la politique internationale devenant brutalement conflictuelle, tout comme les situations nationales. Certes, il n'y a rien là de très nouveau, mais la priorité portée à la lutte contre le coronavirus fait que toutes les relations sont vues sous un autre angle par les politiciens. Comme souvent, les aventures externes ont servi, dans beaucoup de pays, de contrepoint aux difficultés intérieures. De plus, la carte économique du monde ayant été profondément modifiée par la récession dans les pays développés et par la baisse des cours des matières premières, les positionnements en terme de relations internationales, tant des grandes puissances que des petits acteurs, ont été bouleversés.
Conséquence de la mondialisation de l'action sanitaire, une nouvelle classification des pays en verts ou rouges s'est mise en place, un coloriage qui varie de semaine en semaine, mais dont la crédibilité ne dépend que de la qualité des statistiques publiées par ces pays, c'est tout dire. D'ailleurs, en ce qui concerne les migrations internationales, objets de cette classification, ce qui, selon moi, devrait être pris en compte est la santé des voyageurs et non la qualité de la santé dans le pays d'où ils viennent. D'autant plus que ce critère n'est pas totalement respecté, dans la mesure où les nationaux ont toujours le droit de rentrer dans leur pays, indépendamment de la région d'où ils viennent, ce qui fait que les multinationaux ne sont pas du tout soumis aux frontières sanitaires. De plus, ce critère entraîne des représailles plus politiques que sanitaires puisque la réciprocité, qui est souvent la règle, fait que des pays peuvent être bannis alors que leur situation sanitaire reste acceptable, ou inversement. Sans parler du règlement européen qui ignore souvent, avec des règles communautaires, que la situation des états-membres n'est pas du tout homogène.
La coopération sanitaire, qui s'est développée en ces temps de coronavirus, aurait du être un facteur de rapprochement des nations. Or elle a hypertrophié l'application du principe d'ingérence, chacun surveillant ce qui se passe chez les autres, une attitude compréhensible en période de pandémie, mais qui ouvre un peu plus la boite de Pandore. Ce thème du principe d’ingérence, vis à vis duquel je reste très méfiant, avait été l'un de mes grands axes de réflexion, mais ma réticence à ce sujet me semble assez peu partagée. Le fait est que, aujourd'hui, chacun se sent obligé d'intervenir partout, et impunément, ce qui ne fait que dégrader le climat des relations internationales. J'y reviendrais par la suite.